Qu'est-ce que la société ?

 S i je le savais, je n'écrirais plus dessus et irai par les rues porter la Bonne Parole. Ou un truc du genre. Mais j'ai des indices. Dont un notable: les femmes ne sont pas les hommes, et vice versa. Cela m'apparut ainsi: les prisons françaises comptent une femme pour vingt-cinq hommes. Donc les hommes se mettent vingt-cinq fois plus que les femmes en cas de subir une peine de prison. Il en ressort que les femmes respectent «vingt-cinq fois plus» les lois faisant encourir des peines de prison. On peut étendre cette règle aux transgressions ne donnant pas lieu à peine de prison. Non strictement (par exemple je ne pense pas que les hommes stationnent illégalement leurs automobiles vingt-cinq fois plus souvent que les femmes, ni qu'ils fassent vingt-cinq fois plus de chèques sans provision), mais l'on peut supposer que les femmes violent la loi largement moins souvent que les hommes.

On peut le supposer, sans en être certain: les statistiques sur l'action des juges et ses effets n'informent pas sur les cas mais sur les sanctions et leur application. Prenez un délit parmi les plus soumis aux magistrats avec ceux concernant la violation du code de la route, la détention de stupéfiants illégaux: hors cas graves ressortant du trafic international à grande échelle, «selon que vous serez puissant ou misérable», et selon que vous serez de nationalité, d'origine, d'ascendance «européenne» ou non, la sanction ne sera pas la même. Ceci pour la seule sanction. Pour l'application, peut-être ceci vous étonnera, toutes les condamnations à peines de prisons ne sont pas exécutées, pour une raison matérielle: manque de place. On dit souvent que les prisons françaises sont «surchargées»; c'est un euphémisme: elles sont saturées, et dans certains cas, il est matériellement impossible de mettre en cellule des personnes, la surcharge étant telle qu'on ne peut pas les recevoir. Pour les hommes, le «problème» (hem !) se pose modérément, en revanche il se pose beaucoup pour les femmes, parce que le «parc immobilier» qu'on leur réserve est bien plus réduit. Puis, les quartiers permettant l'incarcération «préventive» sont quasi inexistants; il serait plus intéressant de savoir quelle est la proportion de femmes incarcérées après condamnation que celle des femmes incarcérées, pour la raison simple que la grande majorité des personnes incarcérées le sont «préventivement» et que pour des raisons circonstancielles, quel qu'en soit son désir, le juge n'a guère moyen de le requérir pour les femmes; si par exemple les femmes représentent un pour cent des personnes en «préventive» mais 13% des personnes en maisons d'arrêt (les prisons réservées aux condamnés) ça changerait les choses, on passerait d'un rapport de 1 pour 25 à un rapport de 1 pour 8; si en outre, et pour des questions de place, le taux de non exécution des peines de prison étaient de 10% pour les hommes et de 30% pour les femmes, le rapport ne serait plus que de 1 pour 6 environ. Il faut se méfier des statistiques…

Néanmoins, celle-ci nous indique bien que les femmes ne sont pas les hommes, que ce soit effectivement ou symboliquement: ou les femmes commettent environ vingt-cinq fois moins d'infraction soumises à peines de prison, ou la société suppose qu'elles sont vingt-cinq fois moins susceptibles d'en commettre, ou les juges considèrent vingt-cinq fois moins souvent que pour les hommes que leurs infractions méritent incarcération. Ou, et c'est le plus vraisemblable, cette différence de taux d'incarcération est la résultante de ces trois choses.


Chaque année depuis trois lustres, la mortalité sur les routes est d'environ 8.000 personnes par an[1]; «la route» est le lieu d'où proviennent le plus de personnes se retrouvant dans un hôpital pour une cause justifiant l'occupation d'un lit, laissant derrière les accidents cardio-vasculaires et les cancers. Si je ne sais précisément ce qu'est la société, je sais du moins que «la société» tente, assez mal, de résoudre ce problème: comment diminuer les coûts de «la santé» ? Les solutions courantes sont: réduire les dépenses; améliorer les soins; reporter une partie des dépenses sociales vers les dépenses privées; «faire de la prévention», entendu comme multiplier l'information dite préventive en direction des assujettis sociaux; faire de la prévention au sens restreint d'améliorer le dépistage des maladies chroniques (diabète, par exemple) ou circonstancielles; édicter des lois réprimant des conduites «à risques» — excès de vitesse, conduite en état d'ivresse, Etc.

Tout ça est bel et bon, mais ne marche pas terriblement, chaque année les «dépenses de santé», publiques et privées, augmentent. Ce qui va à l'inverse du prévisible: plus le système de santé s'améliore, moins il devrait coûter. En fait, ce qui «s'améliore» est le système de soins: chaque année, nous disposons de moyens plus perfectionnés pour nous soigner, mais on ne peut pas dire que l'autre versant, l'amélioration au quotidien de la santé soit une tâche à laquelle la société s'attache beaucoup. Donc, l'on peut dire que la société, en tout cas la société française — et je crois une bonne part des sociétés dites développées — ne cherche pas réellement à faire que ses membres soient en meilleure santé, mais plutôt qu'une fois malades ils soient bien soignés. Ceci vaut pour bien d'autres domaines, en fait, presque tous: la société tend à privilégier les pratiques curatives ou répressives à celles préventives. Ce n'est pas vrai toujours et pour tout, mais ça l'est assez. Prenez le cas des accidents de la route: en France, on préfère conditionner l'automobiliste à respecter les règles par la menace de la punition plutôt que par un aménagement de la voirie et un travail didactique. Les Français se prétendent cartésiens, pourtant ils préfèrent la passion à la raison.


Plus le temps passe, moins j'adhère à la vision des sociétés humaines comme ensembles d'êtres de raison réunis pour réaliser des projets communs planifiés. La part de conditionnement de groupe me semble dominer celle de la réflexion, et pour les projets, la planification me paraît souvent une reconstruction a posteriori, les choses se faisant plutôt sur le mode du bricolage approximatif.

Il faut s'entendre: pour réaliser tel projet particulier — faire une autoroute, construire un hôpital, une centrale électrique — il y a bien sûr nécessité de planifier l'entreprise; par contre, c'est seulement après sa réalisation, ou au moins après sa conception, qu'on trouvera les justifications pour expliquer en quoi il était socialement nécessaire à ce moment, à cet endroit. Les très grosses centrales électriques sont significatives, de ce point de vue: dans un certain état de l'art, précisément entre la fin de la première guerre mondiale et la fin de l'époque coloniale, il y avait ou du moins il pouvait y avoir une certaine justification à faire ce type d'installations; depuis, l'évolution de la technologie induirait plutôt à construire des installations de taille réduite tirant partie des énergies dites renouvelables (qui sont en fait, pour certaines, des énergies «inépuisables»: le soleil et le vent ne sont pas strictement «renouvelables»…), ou même tirant partie des énergies fossiles, mais de manière plus optimale, donc moins polluante et finalement moins coûteuse. Or la France, sous les espèces de son gouvernement et de sa haute administration, est en train de «planifier» la construction de centrales nucléaires «de nouvelle génération»; ce qui ne correspond pas vraiment à de la planification: il y a certes planification du projet technologique et industriel, mais non de la mise en place de structures «socialement justes», réellement moins polluantes, moins coûteuses et plus efficaces que celles actuelles.

Je raconte quelque chose sur les complots et conspirations; on ne peut pas dire que j'y croie, que je crois qu'il y ait des comploteurs et des conspirateurs. Même pour les complots prouvés… L'appellation est commode pour désigner des phénomènes sociaux qui ressemblent à des complots et conspirations. Dans mon modèle, j'appelle complots des actions de groupes sociaux particuliers ayant un but précis et se faisant «contre la société», et donc, en bonne logique, conspirations des actions «transgroupes», sans but particulier et se faisant «pour la société». Les religions sont des bons exemples de conspirations[2], les mondialisations militaro-industrielles[3] des bons exemples de complots. Ceci montre que complots et conspirations ne sont pas, dans mon modèle, des choses dissimulées, et dire que les conspirations se font pour, les complots contre la société, n'augure pas de la réussite de ce projet secondaire, ça exprime que les acteurs d'un complot ont une action égoïste, ceux d'une conspiration, une action altruiste, mais ne préjuge pas que cette action soit dans les faits favorable ou non à la société.

Une société se construit pour réaliser des projets «conspirationnistes», mais plus elle grandit, plus y naissent des projets «complotationnistes», qui à la fois vont contre les conspirations et contre la société même. De temps à autres, il se fait un grand mouvement, soit venant d'un ou de plusieurs complots et résultant en un coup d'État ou une guerre extérieure, soit venant d'une ou plusieurs conspirations et résultant en une révolution ou une guerre civile. Les choses étant rarement simples dans la société, ces circonstances sont souvent conjointes ou se succèdent de peu: après un coup d'État, on voit souvent s'installer une guerre civile; après une révolution il n'est pas rare qu'on assiste à un coup d'État ou que des voisins incommodés, et subissant eux-mêmes des tensions comparables, fassent une guerre contre-révolutionnaire. Puis, guerre civile, guerre extérieure, la chose n'est pas toujours décidable: la première guerre mondiale, était-ce une guerre internationale ou une guerre civile avec soutiens extérieurs ? C'était certes une guerre interétatique, mais je ne suis pas certain qu'en 1914 l'Europe formât plus que deux ou trois nations. Mutatis mutandis, ça ressemblait beaucoup plus à la guerre de sécession nord-américaine qu'à une véritable guerre internationale, avec la différence que les États de cette nation parlaient plusieurs langues et n'étaient pas formellement fédérés, quoiqu'ils le fussent de fait.

Du fait que, dans un État, une nation, dans une société, il y a des contradictions à l'œuvre — je ne vous apprends rien j'imagine —, les complots sont inévitables. Ils consistent en ce qu'un groupe favorisera tels processus, tels projets, non pas à cause de leur intérêt pour la société mais à cause de l'avantage qu'ils comptent en retirer pour eux-mêmes. Le cas des centrales nucléaires “EPR” est tel: il se peut que ce soit une «bonne» solution, quoique ça n'en paraisse pas, mais ça a peu d'incidence pour beaucoup des promoteurs et détracteurs: les uns sont majoritairement des comploteurs qui y voient un moyen sûr de garder la main sur la politique énergétique de la France, les autres sont surtout des conspirateurs avec une mystique des «énergies douces» leur dictant de refuser toute solution faisant appel à l'énergie dite nucléaire pour les centrales électriques. Bien sûr, parmi les partisans il y a des conspirateurs ayant la mystique des solutions industrielles lourdes et «scientifiques», parmi les opposants des comploteurs ayant d'autres visées que de simplement ne pas vouloir de l'énergie nucléaire, mais en gros c'est ainsi. On peut schématiquement dire que les conspirateurs sont «du côté du peuple», et les comploteurs «du côté du pouvoir». Ça ne signifie pas que les acteurs d'un complot sont toujours «au pouvoir», ni les conspirateurs toujours «dans l'opposition», ou quelque chose comme ça, mais comme les comploteurs agissent pour eux-mêmes, par fatalité leur but premier sera de «prendre le contrôle de la société», le but premier des conspirateurs étant de «favoriser l'épanouissement des individus». Cela dit, les uns prétendront vouloir le pouvoir pour faire le bonheur du peuple, les autres prétendront qu'ils seront mieux à même de faire le bonheur du peuple en étant au pouvoir. On dira que pour les comploteurs, avoir le pouvoir est une fin et pour les conspirateurs c'est un moyen.

Au bout du compte, ça ne fait pas tant de différences, mais explique pourquoi les complots résultent souvent en coups d'États et guerres extérieures, les conspirations en révolutions et guerres civiles: le but des comploteurs est de ne surtout pas modifier l'état actuel de la société et les rapports entre groupes; les conspirateurs désirent adapter la société à leur idéal et changer l'ordre des choses; du fait, pour les uns il importe de s'emparer des moyens de contrôle social actuels, tandis que les autres se fichent de s'emparer du pouvoir actuel ou d'installer le leur propre, puisque de toute manière ils veulent «changer tout ça». Conséquence logique, les conspirateurs visant à changer la société, leur prise de pouvoir a toutes chances de se résoudre en guerre civile, tandis que les comploteurs, sentant leur pouvoir menacé, n'hésiteront pas à susciter une guerre extérieure afin de «mobiliser la société autour d'une Grande Cause Nationale». Ou un truc du genre.

On peut dire de mes «complots» et «conspirations» que les premiers sont des conspirations dégradées, les secondes des complots en devenir. Oui: un complot tel que je l'entends est, en gros, la tentative d'un ou plusieurs groupes en position de pouvoir de s'y maintenir, sans avoir de projet particulier (consistant) concernant ce qu'ils feront de ce pouvoir; les conspirations sont au contraire des projets de prise de pouvoir avec but précis de la part de groupes «d'opposition»; or, un groupe actuellement au pouvoir n'y est pas de toute éternité, en un état antérieur, suite à une conspiration quelconque, avec un projet précis, il l'a pris; en sens inverse une conspiration qui prend le pouvoir est toujours destinée, après un certain temps, par l'usure du pouvoir ou par le fait que son projet sera réalisé, à ne plus avoir de raison légitime de rester au pouvoir, mais s'y accrochera, du fait elle se mettra à comploter pour le conserver. Bref, un complot est en général une ancienne conspiration qui n'a plus d'autre projet que de rester au pouvoir, une conspiration une fois au pouvoir finit toujours par perdre de vue son projet et par verser dans le complot.

Bien sûr, révolutions, putschs et guerres sont pour les temps de crises; en temps normal ils cohabitent assez bien, avec par moments quelques petites crises, soit entre complots et conspirations, soit entre complots concurrents ou conspirations opposées. Au jour où j'écris (le 18/01/2004), deux manifestations devraient avoir lieu à Paris, l'une contre la loi proscrivant le port à l'école, par les élèves, de «signes religieux ostensibles», dite «loi contre le voile», l'autre contre le projet de développement rapide des centrales nucléaires “EPR”; la première est plutôt «comploteuse», en ce sens que les partisans du voile ou les opposants à la loi ne désirent pas particulièrement changer la société; la seconde est plutôt «conspiratrice», en ce sens que lutter contre les processus industriels actuels, c'est mettre en cause le fonctionnement général de la société. De l'une et l'autre, peu de chances que naissent un coup d'État, une révolution, une guerre. Remarquez, ça n'est pas sûr non plus — qu'il n'y ait ni guerre ni rien. Ce genre de choses dépend moins des personnes qui s'agitent dans la rue que de la réaction du pouvoir: imaginez que la manifestation «provoile-antiloi» se passe mal, que les forces de l'ordre paniquent et fassent quelques morts, ça induira d'autres manifestations encore plus virulentes, d'où viendront encore plus de morts, et en avant pour une guerre civile ! Les autres pays de l'Union européenne, de l'OTAN et de l'OSCE ne pourront guère se permettre de ne pas intervenir pour que cesse le désordre, et en avant pour une guerre interétatique ! Peu de chances que ça arrive, mais on ne peut jurer de rien. Une situation de crise, ce n'est jamais qu'une situation «normale» qui se dégrade…


J'en reviens à mon propos: contrairement à ce que se raconte une société, ses choix sont rarement dictés par la logique et la raison mais est plutôt le résultat de compromis et d'oppositions. C'est plus ou moins le cas selon les sociétés; toutes ne sont pas également raisonnables ou déraisonnables. Il y a aussi cette question de l'équilibre entre dynamisme et stabilité et du niveau d'intégration de la société. Depuis un peu moins d'un siècle, disons, depuis la fin de la première guerre mondiale, on peut considérer que l'ensemble de l'humanité forme une seule société, ou plutôt, une société de sociétés, avec d'autres imbrications secondaires ou tertiaires. Ce qui n'était pas le cas auparavant. L'histoire de l'humanité est l'histoire d'intégrations et de divisions successives de sociétés, avec des cycles d'intégration et de division en deux phases, que l'on peut décrire comme «intégration externe», puis «division interne», puis «intégration interne», puis «division externe». Actuellement, l'humanité se trouve dans une situation curieuse: les temps semblent mûrs pour en arriver à la «division externe», avec ce léger problème qu'il n'y a plus d'extérieur…

À un instant donné, toutes les sociétés n'ont pas le même «niveau de prégnance», il y en a de plus ou moins efficaces. Pour la période récente, les trois derniers millénaires environ, en axant l'analyse sur la région Europe-Méditerranée avec dans les derniers temps Amérique du Nord, on peut voir que les sociétés prégnantes ne sont pas toujours les mêmes au cours des siècles, que les intégrations se font de plus en plus larges, jusqu'à l'intégration mondiale en cours, et qu'après une phase de forte intégration, les sociétés tendent à se diviser en unités plus petites, mais plus grandes en moyenne que celles de la situation antérieure à l'intégration maximale. Pas systématiquement plus grandes, mais en moyenne plus grandes. Dans l'état actuel, les niveaux de division potentiels correspondent à peu près aux niveaux d'intégration d'il y a environ deux siècles. Mais je le disais, il y a ce problème que, «normalement», une division «externe» se fait par l'action déstabilisante d'une ou plusieurs sociétés qui acquièrent plus de prégnance que celle en voie de se désagréger. Je me demande jusqu'à quel point les actions guerrières actuelles et le projet futur imbécile de «station lunaire» de G. W. Bush et son administration ne constituent pas justement une tentative maladroite et fantasmatique de se créer cet «extérieur» désormais impossible. Ceci amène à considérer qu'en l'état actuel, il va falloir inventer une nouvelle manière d'évoluer, puisque l'ancienne est devenue obsolète. Mais c'est une autre discussion.

Si l'on regarde comment se constituent les civilisations et empires, on voit que dans une première phase, une «nation» petite et agressive connaît une expansion rapide et se rend maîtresse de plusieurs nations voisines, en maîtrisant les voies commerciales ou en s'emparant du pouvoir, souvent en faisant les deux; après un certain temps les nations conquises, par elles-mêmes ou en se coalisant avec d'autres — et souvent les deux… —, parviennent à se débarrasser de leur imperium; mais la nouvelle situation fait que ces nations ne peuvent effectivement revenir à la situation antérieure; dans la troisième phase, une des nations du défunt imperium, celle initiale ou l'une des nations conquises, va «reconstruire l'empire», manière inexacte, mais symboliquement vraie, de décrire la chose, en fait elle construira un empire différent qui recouvrira pour l'essentiel l'ancien empire et souvent l'étendra; après un temps, cet empire ou cette civilisation épuisera son dynamisme et tendra de plus en plus à une certaine rigidité (réduira la «mobilité sociale»); ce sera le moment de la dernière phase, la «division externe»: d'autres sociétés environnantes, plus dynamiques ou d'une stabilité moins statique, déstabiliseront l'empire et en général s'empareront de certaines de ses parties, mais pas obligatoirement.

Autant que je puisse en juger, nous sommes dans cette situation de la quatrième phase: entre le XVI° siècle et le milieu du XIX° siècle, «l'Empire européen» s'est construit jusqu'à étendre son imperium sur toute la planète; mais dès la fin du XVIII° siècle et le début du XIX°, des parties de cet empire ont commencé de prendre ou reprendre leur indépendance, notamment les colonies des Amériques ainsi que quelques nations asiatiques. Jusqu'au milieu du XX° siècle, il y eut un jeu étrange, où les nations de l'imperium européen tantôt voyaient s'étendre, tantôt se réduire cet imperium, jusqu'au point où, entre 1905 et 1945, il s'agit de savoir lequel parmi ces États serait «maître du monde». La réponse fut, aucun… C'est aussi le moment définitif de la première phase: les nations reprennent leur indépendance. Et à partir de 1960 environ, soit durant la deuxième phase même, commence véritablement la troisième, le second imperium, la question étant alors de savoir qui des USA ou de l'URSS sera le leader de cet empire-là. À partir de 1989, on eut la réponse.

Ma présentation schématique donnera à croire que les empires succèdent aux empires, ce qui n'est pas vraiment le cas; en fait, il y a — ou en tout cas il y avait, jusque-là — toujours plusieurs empires ou civilisations concomittants ou superposés; par exemple, je parlais de «l'empire européen», ce qui est une analyse a posteriori et en fonction de l'état des choses alentour de 1900; dans la phase initiale, entre XVI° et XVIII° siècles, il y eut effectivement plusieurs empires concurrents, jusqu'à ce que, au milieu du XIX° siècle, les diverses nations européennes se partagent le monde par divers traités; c'est seulement à ce moment qu'on peut strictement parler d'un empire européen — lequel d'ailleurs ne dura guère…

Je ne l'ai pas dit ? L'imperium, de la première et de la troisième phases sont en général assez brefs, guère plus d'un siècle. Ça ne signifie pas qu'il ne restera pas de beaux restes, prenez le cas de l'Empire romain: on peut dire qu'il s'accomplit au II° siècle; au III° c'était déjà fini, mais sa partie orientale, qui deviendra l'Empire byzantin, restera assez unie pendant encore quatre siècles environ. Ou plus récemment, l'Empire ottoman atteignit sa plus grande extension à la fin du XVII° siècle; à la fin du XVIII°, il avait déjà perdu une bonne partie de ses possessions asiatiques, et au cours du XIX°, se fit largement grignoter en Europe et en Afrique, mais en 1914 c'était encore un bel empire. Pour en revenir à la situation actuelle, m'est avis que l'imperium en cours, «américain» (en fait, étatsunien) durera moins d'un siècle. Pour diverses raisons dont au moins deux importantes: pour qu'un empire dure il doit pouvoir s'étendre, et comme dit, cet empire-là n'est pas en état de le faire; ensuite, les deux méthodes «classiques» pour un empire de maintenir sa cohésion interne sont le fameux «diviser pour régner» et la non moins fameuse «menace extérieure»; pour appliquer le précepte dit, le moyen est le contrôle de l'information, une chose assez problématique désormais; quant à la menace extérieure, même si «la guerre contre le terrorisme» est une habile tentative dans ce sens, je ne suis vraiment pas persuadé que ça durera très longtemps car les gens se rendront compte — ils sont déjà en train de le faire — que la «menace» est intérieure. Ils mettront sans doute un peu plus de temps à se rendre compte que la véritable menace n'est pas celle qu'on leur désigne, “les Juifs”[4], mais ceux qui montrent “les Juifs” du doigt. “Les Juifs” d'aujourd'hui sont «les arabo-musulmans» (une construction curieuse mais désormais assez courante), en soi ou dans leur version «intégriste», «islamiste» ou «fondamentaliste». Ce sont aussi les Juifs, d'ailleurs — notamment dans «le monde arabo-musulman»[5], mais en Europe aussi. D'une manière certes moins lisiblement raciste qu'au mauvais vieux temps des pogroms et des solutions finales ou moins naïvement directe que ça peut se faire en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient: l'Européen poli et policé ne dira pas «je n'aime pas les Juifs» ou, “plus aimablement”, «Je suis antisémite». Il dira juste qu'Israël est la principale menace pour la paix dans le monde. Invraisemblable. Les États-Unis, l'Inde, le Pakistan, je veux bien; Israël est au pire la principale menace pour la paix dans son coin de Moyen-Orient. Bien sûr, les personnes qui classèrent Israël en tête de ce hit-parade un peu spécial me diront, non, pas du tout, ça n'a rien à voir, ce pays représente une réelle menace pour la paix dans le monde; comme personne raisonnable je leur répondrai, si c'était vrai, ça se serait vu depuis bien longtemps. Que les responsables israéliens actuels soient une menace sérieuse pour les Palestiniens, c'est évident; que l'existence d'Israël crée un trouble sérieux dans son environnement proche, c'est aussi un fait; que de nombreux pays se servent de l'existence d'Israël pour brandir une «menace extérieure» fort peu crédible mais qui a l'avantage de réduire les dissensions internes, c'est indéniable; qu'Israël représente «une menace pour la paix dans le monde», c'est une construction de l'esprit. À peu près aussi consistante que la menace qu'était censée représenter l'Irak, il y a peu. D'où cette question: pourquoi les Européens pensent-ils cette chose invraisemblable ? Je ne vois qu'une réponse: parce qu'Israël est majoritairement peuplée de Juifs, et qu'on a depuis si longtemps pris l'habitude de considérer que les Juifs représentent une menace que ça en devient un fait acquis[6].

Bon, après cette digression salvatrice, revenons-en à la société.

On ne saurait jurer de rien, malgré tout certaines tendances donnent à croire que «l'imperium américain» — une désignation assez fausse, cela dit — a peu de chances de durer très longtemps. Ne pas durer longtemps, ça n'a guère de sens, au niveau d'une vie humaine: il peut cesser demain ou dans cinquante ans. Mais justement, je ne le vois guère dépasser le demi-siècle. Demain, j'exagère: disons, il peut cesser dans les deux ou trois ans à venir, ou continuer encore deux ou trois générations, mais il y a peu de chances, donc, que ça aille au-delà. En même temps, il y a des indications contraires qui donnent à croire que les choses peuvent empirer. Jean-Christophe Ruffin a publié début 2004 un roman intitulé Globalia, qui décrit une situation extrapolée de certains constats que, comme humanitaire et grand voyageur, il a pu faire sur l'état de nos sociétés. La société d'un futur proche qu'il décrit est l'exacerbation d'une situation existante: la division du territoire en «zones de non droit» et «zones de super-droit»; d'un côté, des zones protégées sous cloche, où règne la douceur de vivre, où l'on a droit à tout pourvu qu'on puisse payer, où les habitants sont protégés à l'excès, le panoptique du «meilleur des mondes possibles», de l'autre, rien, une situation où règne la pauvreté, la maladie et le droit du plus fort, une sorte d'univers à la Mad Max. J'entendais un imbécile dire à Ruffin que son roman était peu crédible: il faudrait lui demander de faire un stage du côté du sud-Soudan, ou certaines zones de l'Afrique des Grands Lacs (Congo, Burundi), ou en Sierra Leone, ou au Libéria, sans armes et sans protection, et s'il parvient à en revenir, de nous dire si les «zones de non droit absolu» sont peu crédibles… Mais ces tendances sont peu tenables: en fait, on a déjà eu à plusieurs reprises au cours des siècles écoulés une même tendance, parfois globale, parfois locale, parfois modérée, parfois aigüe, vers le panoptique, la surveillance absolue de la société par elle-même; ce panoptique n'étant en fait réalisable qu'à fort coût social et économique, se réduisait — se réduit — généralement aux seules zones considérées comme socialement et économiquement importantes. Or, au bout d'un temps plus ou moins long la société ne peut plus supporter la chose. Non pas moralement, mais effectivement: il vient toujours un moment où cette surveillance de la société par elle-même bloque les fonctionnements sociaux normaux. Du fait, la société s'affaiblit et, soit par le jeu des forces internes, soit par une invasion externe, le système actuel s'écroule. C'est comme ça même que les empires finissent par s'effondrer.

Le jeu social est donc un équilibre — difficile — entre dynamisme et stabilité, et requiert un niveau d'intégration suffisant de la majorité de ses membres pour fonctionner convenablement. Trop de dynamisme, c'est la dispersion, la guerre de tous contre tous, le «non droit», trop de stabilité, c'est le blocage, l'entropie, la guerre de la société contre elle-même; en outre, si les mécanismes de mobilité sociale sont défectueux, les choses se dégradent encore plus et plus vite. On est dans ce type de situation, avec les «zones de non droit» et les «zones de trop de droit», avec dans les premières une instabilité certes «dynamique», mais qui empêche de construire les structures stables nécessaires à «faire société», dans les secondes une réduction drastique des instruments de mobilité sociale — dans le moment de plus grande mobilité, en France, qui fut aussi le moment de plus grande «stabilité dynamique», les enfants d'ouvriers et d'employés représentaient environ 10% du recrutement des grandes écoles, actuellement, il forment à peine 1% des élèves. Les pays développés et ceux sous-développés forment une image inverse, sauf pour les extrêmes où l'on trouvera également environ 10% d'exclus enfermés définitivement dans leur situation marginale et environ 10% de privilégiés accaparant la presque totalité des ressources du pays, puis chez les uns environ 50% de personnes peu favorisées, les classes laborieuses d'antan — et d'aujourd'hui —, chez les autres environ 30% de personnes (relativement) «favorisées», clientes ou alliées des premiers, chez les uns environ 30% de la population participant des fameuses «classes moyennes», plutôt favorisées — quoique ça ne soit pas toujours si évident —, chez les autres environ 50% de la population assez défavorisée, un peuple de serfs corvéables à merci. C'est une moyenne approximative, dans certains pays sous-développés, la proportion de «serfs» est encore plus forte, de même, dans certains pays développés, la proportion des classes moyennes peut être plus proche de 30%. Mais ça n'a guère d'importance, l'idée est qu'existe une cruelle disproportion entre les nations «avancées» et les autres. Les données sur la population et le revenu de 1999 indiquent que les environ 600 millions d'habitants des 20 pays au PIB/h supérieur ou égal à 20.000 $ disposaient de 22.000 Mds $, ce qui fait un PIB/h moyen de 27.800 $, et les près de 5,5 milliards d'habitants restant disposent de 7.800 Mds $ pour un PIB/h moyen de moins de 1.500 $. Si les valeurs relatives vous conviennent mieux, le PMB (produit mondial brut) est détenu à 74% par seulement 13% de la population, les 87% restants devant se contenter de 26% de ce PMB. Et le rapport de revenu entre les premier et second groupe est de 19 pour 1.

Au niveau mondial, les «classes» ressortissent largement de la répartition que j'ai donnée pour les nations développées, ou pour les sous-développées, ça dépend de ce qu'on estime être le «seuil de pauvreté»: les 10% d'humains les plus riches détiennent 62% du PMB pour un revenu moyen de 29.572 $; les 30% suivants sont «moyens», puisqu'ils détiennent 32% du PMB pour un revenu de 5.202 $; les 50% suivants détiennent 6% du PMB pour un revenu de 594 $, enfin les 10% inférieurs détiennent… 0% du PMB (0,46%) pour un revenu moyen de 234 $. La différence de revenu entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres est de 126 pour 1. On peut le constater, l'écart entre «les exclus» (de la croissance) et les «peu favorisés» n'est pas si important. Ce qui n'est pas si indicatif: des pays représentatifs des «peu favorisés» me semblent le Pakistan (PIB/h de 470 $) et l'Inde (440 $); ceux représentatifs des «exclus» me semblent le Mozambique (220 $) et l'Érythrée (200 $).

L'intégration chaque année plus importante de la «société-monde» rend ce type de disparités problématique. Pas tant pour des raisons morales — pour mon compte ça me gêne de savoir que l'Éthiopien moyen a un PIB/h de 100 $, mais bon, qu'y puis-je ? Non, ça pose un autre type de problèmes. Au fond, sa réussite tue un empire, sa réussite tue une société. Considérant ma propre situation, je sais qu'en France on peut vivre honorablement avec un revenu moyen d'environ 7.500 $, alors que la vie y est plutôt chère, relativement au coût de la vie (encore une expression étrange) dans d'autres pays moins bien lotis. En 1999, le PMB/h était de 4.896 $, donc il doit être en 2003 au-delà de 5.000 $. Mais comme constaté plus haut, fort mal distribué: les pays ayant un revenu au moins double de celui moyen, soit 33, avec 898 M hab. (14,7% du total) ont un PB (produit brut) de 23.527 Mds $ (78,6%) et un PB/h de 26.186 $ (534,8% de la moyenne mondiale); les 35 pays suivants, au revenu allant du double à la moitié de celui mondial, comptent 669 M hab. (10,9%) pour un PB de 3.088 Mds $ (10,3%) et un revenu de 4.613 $ (94,2%); enfin, la longue cohorte des 103 autres pays[7], qui rassemble 4.547 M hab. (74,4%) ne «pèse» qu'un PB de 3.327 Mds $ (11,1%) qui fait un revenu moyen de 731,7 $ (14,9%). Ces données ont depuis dû être un peu modifiées pour faire progresser «le bas du tableau» peut-être à 12%, mais surtout en défaveur du milieu du tableau. Je dis ça car, depuis 1999, les deux gros morceaux de la dernière tranche, Inde et Chine, connurent une forte progression, avec une «croissance» entre 5% et 10%, donc sur quatre ans quelque chose comme 25% à 40%. En même temps, ce n'est pas aussi significatif que ça le semble: quand on part d'un revenu moyen 70 ou 80 fois inférieur à celui de la tranche supérieure, même avec une population 2,5 fois supérieure il suffit aux pays de la tranche haute de 1 point de croissance pour rattraper 25 à 30 points sino-indiens, en valeur absolue…

Pourquoi un problème ? Et bien, à cause justement de la progression des deux grands pays d'Asie. Leur PIB/h est en trompe-l'œil. Il était en moyenne, pour ces deux pays mis ensemble, et en 1999, de 628 $; actuellement il doit être d'environ 800 $ à 825 $. Donc, ils sont pauvres (environ 17% du PMB/h) ? Pas vraiment. Dans ces pays même on trouvera une structure équivalente à celle mondiale, avec certes des revenus moyens par tranches inférieurs[8]: une large population, de l'ordre de 70%, très pauvre «sur le marché mondial»; environ un quart d'un niveau honorable, même sur le marché mondial, et un 5% florissant. Deuxième trompe-l'œil, du fait de leur taille en population, une part non négligeable, je dirai, au moins la moitié, des échanges internes, sont «invisibles», n'ont pas d'appréciation sur le marché mondial qui, comme son nom l'indique, évalue essentiellement ce qui fait l'objet d'échanges entre les nations. Par exemple, un pays comme les États-Unis est surévalué, et selon moi d'au moins 30%, du fait qu'il draine une part importante des transactions internantionales; en sens inverse, les deux grands pays d'Asie, et surtout l'Inde (qui d'ailleurs a significativement un PIB/h de seulement 440 $ contre 780 $ pour la Chine) font l'essentiel de leur commerce à l'intérieur de leurs frontières et ne sont pas des places financières très importantes.

Encore une digression, qui elle aussi ne me paraît pas inutile. Donc, ni trop, ni trop peu de dynamisme, ni trop, ni trop peu de stabilité.


[1] Depuis, le nombre de tués a baissé, mais ça reste encore une cause non négligeable de mortalité. En outre, je ne suis pas certain que le nombre de tués sur la route n'augmente par après. Toujours est-il que même à 6.000 morts et pas mal de dizaines de milliers de blessés, il reste toujours plus dangereux de prendre une voiture que le train…
[2] Je parle bien ici des religions, et non pas des églises, surtout celles dotées d'un clergé très formel, lesquelles, en tant que groupes, peuvent très bien, selon les circonstances, sombrer dans le complot.
[3] Et non pas libérales, impérialistes ou colonialistes. Si la mondialisation actuelle, ou la précédente au XIX° siècle, étaient réellement libérales ou capitalistes, elles se feraient par le commerce; or l'on voit assez bien que lorsqu'une nation refuse, pour de bonnes ou mauvaises raisons, d'entrer dans cette mondialisation, on emploie contre elle des moyens militaires pour l'amener à récipiscence (blocus, embargos, guerres directes ou indirectes, etc.), le but étant, pour l'agresseur, de permettre à son industrie de «pénétrer le marché» et/ou de s'offrir des matières premières et de la main-d'œuvre à bon prix. On ne peut pas dire strictement que ce genre de pratiques soient «libérales»…
[4] Non pour dire que ce sont effectivement les Juifs qu'on présente comme la menace — quoique, pour certains… — mais pour signifier qu'il s'agit du même type de pseudo-menace que quand tel tsar, tel chancelier allemand les présentait comme l'élément le plus menaçant de la société.
[5] Sic. Construction étrange et aussi courante, et significative: dans ce monde totalement intégré il n'y a pas un «monde arabo-musulman», un «monde européo-chrétien», un «monde sino-taoïste», etc. — les fameuses «civilisations» censées se choquer —; bien sûr, il y a selon les pays et les régions des dominantes plus ou moins fortes de religions, mais dans tous les pays occidentaux y compris les USA il y a des «arabo-musulmans», dans tous les pays du Golfe persique, y compris l'Iran, on trouvera des «européo-chrétiens».
[6] Si vous avez lu ce texte qui se trouve je ne sais plus où, discutant du sondage du «baromètre européen» où se trouve cette réponse sur la supposée dangerosité d'Israël, vous y aurez vu que j'en minore grandement la portée, et même que je trouve cette polémique injustifiée. D'où vous penserez peut-être que je suis incohérent. D'abord je dirai que ça ne me pose pas vraiment problème, de paraître ou être incohérent: ça arrive. Ensuite et surtout ça se plaçait dans un cadre différent: discuter de cette tendance générale des médias à simplifier les choses à outrance, et de cette tendance plus spécifique de nombre médias français à se faire les relais de la propagande des gouvernements israéliens même les plus douteux — tel celui de Sharon — quand on agite devant leurs yeux le chiffon rouge de l'antisémitisme. Ce qui me génait dans cette pseudo polémique était cette unanimité à fustiger «l'Union européenne» — comprenez: les institutions bruxelloise, au premier chef la Commission — pour, ô scandale !, avoir osé publier un sondage si offensant ! Résultat, echaudée, ladite Commission décida, quelques mois plus tard, de ne point se hâter de publier un sondage où cette fois c'était «la communauté musulmane» (sic) qui était mise en cause — ou se mettait elle-même en cause, je dois le dire, je n'ai pas trop suivi cette fois-là. Et ce fut un motif supplémentaire de scandale. Remarquez, eut-elle rapidement décidé de la publier que sans doute ça ne changeait rien: il est des «sujets de société» pour lesquels, quoi qu'on fasse, on aura toujours tort… Pour conclure là-dessus, ce n'est pas parce que l'on regrette l'usage propagandiste d'une certaine information qu'on n'en tire pas le fait que cette information dénote de choses assez malsaines; ici, ce n'est pas parce que j'ai constaté l'usage malhonnête que l'administration israélienne tire d'un sondage pour disqualifier un acteur international problématique (l'UE) et l'usage comme habituellement assez anti-Commission que les médias français firent de «la polémique», que je ne juge pas pour ça que ledit sondage dénote une tendance lourde à l'antisémitisme en Europe.
[7] Mes statistiques ne décomptent que 171 pays, car elles ne recensaient pas les confettis (Îles Caïman, Vatican, Monaco, etc.), soit une vingtaine de nations et États reconnus par l'ONU.
[8] Comme le disait récemment un économiste sur France Culture, la Chine, «c'est l'Afrique et l'Europe dans un seul pays», avec environ 200 millions de personnes au revenu équivalent au revenu moyen de l'UE, et plus d'un milliard d'habitants au revenu équivalent à celui moyen en Afrique.